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Depuis peu, le natif de Brooklyn s’aventure sur un terrain qu’il a peu fréquenté jusqu’ici, la politique. Il n’a jamais caché ses opinions démocrates, pris plusieurs fois position sur la question des relations raciales et apporté un soutien financier à diverses causes
– comme un don de 1 million de dollars à la Croix Rouge après l’ouragan Katrina.
Mais ces derniers mois, les autorités new-yorkaises sont venues le solliciter, après les affaires
Garner et Brown : le gouverneur de l’Etat, Andrew Cuomo, et le maire de la ville, Bill de Blasio, ont vu tout l’intérêt de s’afficher à ses côtés.


Car Jay Z rappelle sans cesse son attachement à sa ville, que ce soit à titre personnel ou dans les affaires. Il est allé soutenir le mouvement Occupy Wall Street, dessinant des T-shirts pour les manifestants ; a participé au retour d’un club de basket NBA à Brooklyn ; supporte inconditionnellement les équipes de sport locales – « J’ai rendu la casquette des Yankees plus célèbre qu’aucun joueur ne l’a fait », chante-t-il à propos de l’équipe de baseball ; s’associe aux artistes et sportifs locaux, un bon moyen de renforcer sa notoriété en surfant sur celle des stars du moment ; possède un bar sur Broadway ; a tourné un clip au milieu des oeuvres du MoMa, le Museum of Modern Art, dans lequel il n'hésite d'ailleurs pas à se comparer à Léonard ​de Vinci…


Cet amour pour la Grosse Pomme, Jay Z l'a chanté dans plusieurs de ses chansons. La plus emblématique d'entre elles est d’ailleurs devenue le nouvel hymne de la cité, l’égal du « New York New York » de Frank Sinatra. Dans « Empire State of Mind », autobiographie en duo avec une autre native, Alicia Keys, il raconte sa fierté d’avoir grandi dans ces rues. Finalement, c'est peut-être dans cette oeuvre qu'il livre la clef de son parcours et de son ambition : « A New York, il n’y a rien que tu ne puisses accomplir. »

Il semble cocher toutes les cases du succès : des affaires florissantes, un couple glamour et ultra-médiatique, la proximité avec l’élite politique, tout cela lui a offert un vernis de respectabilité peut-être plus brillant qu’à ses homologues. Son parcours, parti de rien et arrivé au sommet, « renvoie un thème central de l’histoire américaine », a expliqué Michael Eric Dyson, professeur de sociologie à Georgetown, qui consacre un cours entier au rappeur. « Cela renvoie à ce que cela signifie d’être américain et c’est ce qui explique son succès et sa reconnaissance. » Au point d'inspirer la fiction : le créateur de la série Empire, diffusé sur Fox et nouveau carton d'audience aux Etats-Unis,  a reconnu s'être inspiré de la vie de Jay Z. Mais s’il est un lieu où il est valorisé, c’est dans sa ville natale.

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Star du hip hop devenu riche producteur, Lucious Lyon (joué par Terrence Howard) est atteint d'une maladie incurable et doit gérer sa succession à la tête d'Empire Records.

Son expérience d’entrepreneur a débuté à 26 ans : mécontent de son contrat avec sa maison de disques, il lance avec Damon Dash et Kareem Burke (photo ci-dessus) son propre label pour sortir son premier album, vendant leurs premiers CD sur les trottoirs, à l'arrière d'une voiture. Nommé en référence à John Rockfeller, ​Roc-a-Fella passera en 2004 sous le giron d’Universal, qui confie alors à Jay Z la direction de sa branche hip-hop, Def Jam. Un fauteuil de PDG qu’il accepte avec l’envie, dit-il, de promouvoir l’ascension sociale des Noirs-Américains : « Dans les conseils d’administration, je suis souvent le seul Noir et le seul jeune au milieu de ces hommes d’affaires blancs. Je n’ai pas l’impression de faire partie du club des dirigeants, mais d’être un excentrique qui a réussi. »


Mais cette arrivée dans l’univers du costume-cravate et ses multiples partenariats commerciaux ont aussi pu brouiller son image auprès d’autres rappeurs plus engagés. Comme Chuck D, de Public Enemy, lâchant : « Je dirai qu’il y a des gens derrière lui qui ont investi énormément sur son nom. » A l'inverse, pour une partie de la jeune génération de rappeurs, Jay Z fait partie des modèles à suivre, autant pour son talent d'auteur que pour son parcours d'entrepreneur. Au point parfois de voir ses propres leçons appliquées contre lui-même. Comme lorsqu'il a tenté de faire signer dans son écurie Joey Badass, un gamin alors âgé de 17 ans né dans le même quartier que lui et nouvelle révélation de la scène new-yorkaise. « En réalité, c'était un accord mutuel, a expliqué l'effronté à « Libération ». J'ai réalisé en discutant avec lui que je préférais ne pas faire partie de l'empire qu'il voulait constituer. Parce que je veux construire le mien. »


Malgré quelques révélations, comme l'éclosion de Kanye West et Rihanna, son passage à la tête de Def Jam ne restera pas inoubliable. Il démissionne d’Universal en 2007 pour signer un accord inédit de dix ans et 150 millions de dollars avec le géant de l'événementiel LiveNation, qui lui permet de fonder sa propre société de production et de management d’artistes, Roc Nation. Puis de monter en 2013 une agence dédiée au sport, Roc Nation Sports. Plusieurs stars le rejoignent alors, dont certaines qu'il avait lui-même attirées chez Def Jam.

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rappeur business class

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L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

Réalisé par Will Greenburg.
Avec Jamie Foxx, Quvenzhané Wallis, Rose Byrne, Bobby Cannavale, Cameron Diaz.

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750 millions
de dollars

Le Californien est le cofondateur des casques audio Beats, racheté 3 milliards
de dollars par Apple
​en mai 2014.

700 millions
de dollars

Le parcours du New-Yorkais ressemble à celui de Jay Z : production musicale, médias, alcools... il s'est bâti un véritable empire.

520 millions
de dollars

Avec le récent rachat d'Aspiro, il va venir concurrencer le service de streaming musical de Beats fondé par
​Dr. Dre.

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Un as
​du marketing

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Du trottoir
​au conseil d'administration

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One billion dollar couple

Shawn Carter (Jay Z)

Sean Combs (Diddy)

Classement établi par « Forbes » en 2014

Andre Young (Dr. Dre)

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Les artistes hip hop les plus riches

Kevin Durant

Robinson Cano

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Kanye West

Rihanna

Shakira

Le prénom de Blue Ivy, née en 2012, a été déposé au registre des marques par ses parents afin de contrer une société qui voulait l'utiliser pour une gamme d'articles pour bébé.

Texte et réalisation : Pierre Demoux - Iconographie : Arnaud Poilleux


Crédits photos : Matt Sayles/NBCAP/SIPA ; Mason Poole/AP/SIPA ; Def Jam ; AFP ; DR ; CC-BY-SA ;
​Daniel Barry/Office of the Gouvernor of New York State ; Scout Tufankjian/Obama for America

Une icône new yorkaise

Jay Z et Andrew Cuomo, en décembre dernier, lors d'une rencontre-débat sur une réforme du système judiciaire.

Leur première collaboration en duo a donné le ton. Dans « 03 Bonnie and Clyde », ils se placent comme les héritiers des célèbres amoureux-gangsters. Ils ont depuis largement fait sauter la banque : leur patrimoine cumulé approchent le milliard de dollars, au point qu’une partie de la presse américaine les surnomme déjà « One billion dollar couple ». Leur tournée commune de 21 dates, l’année dernière, a généré 100 millions de dollars de recettes, l'une des plus rentables de l’histoire de la musique. Rarement un couple a réuni deux stars aussi célèbres et puissantes l’une que l’autre, et aussi complémentaires. « Leur mariage rend tout ce qu’ils touchent encore plus rentable car quand l’un lance une société ou s’associe à un produit, cela sous-entend que l’autre aussi, explique Zack O’Malley Greenburg. Ils sont devenus des icônes pour une large frange de l’Amérique. »


D’autant que leur réussite professionnelle a très peu atteint leur image de couple « cool ». Même si Monsieur a offert à sa famille une île privée dans les Bahamas à 4 millions de dollars ; et que leur fille, Blue Ivy, a reçu un cheval à bascule en or massif à 600.000 dollars en cadeau d’anniversaire. Ils sont le pendant show-business du couple Obama, avec qui ils sont amis, invités régulièrement à la Maison-Blanche : Beyoncé a ainsi chanté au premier bal officiel en 2009, puis lors de sa seconde investiture en 2013. « Jay Z sait à quoi ressemble ma vie, plaisante le président américain. Nous avons tous les deux des filles. Et nos femmes sont plus populaires que nous. »


Plus que d’autres figures du hip-hop comme Dr Dre ou Diddy, devenus aussi hommes d’affaires à succès et qui le précèdent d’ailleurs au classement des rappeurs les plus fortunés du monde, Jay Z incarne « l’exemple même du rêve américain du self-made man appliqué au XXIe siècle », estime Zack O’Malley Greenburg. 

Roc Nation, un portefeuille de stars

Avec Roc Nation, il s'attaque haut et fort à des géants, comme son ex-employeur Universal ou les agences de management CAA et IMG. Ce qui lui vaut certaines inimitiés. Et quelques revers : plusieurs sportifs annoncés comme de futurs recrues au lancement de Roc Nation Sports ont finalement renoncé à le rejoindre, tandis que sa branche consacrée à la boxe a vu l'organisation d'un de ses combats tomber à l'eau après le retrait de l'un des boxeurs... conseillé par un ancien producteur rival ​de Jay Z. 


Une stratégie offensive qu’il vient de répliquer en faisant une offre de 56 millions de dollars à Aspiro AB, un groupe suédois qui propose du streaming en haute définition et qui vient de se lancer aux Etats-Unis. Un secteur prometteur (l’écoute en ligne a représenté l’an dernier plus de la moitié des revenus du numérique musical) mais largement dominé par Spotify et sur lequel Apple veut aussi s’imposer.


Le New Yorkais veut également accrocher à son tableau de chasse un autre trophée, plus symbolique : devenir le premier milliardaire du hip-hop. Et il peut compter pour cela sur le soutien de sa femme, la chanteuse Beyoncé, qu’il a épousée en 2008, six ans après leur rencontre.

Au milieu des vignes champenoises, la maison Cattier a connu l’un des plus fulgurants succès de l’histoire du vin... qui a débuté en 2006 avec une parole malheureuse d’un dirigeant de Louis Roederer, s’interrogeant dans une interview sur la popularité de ses champagnes auprès des rappeurs. Sous-entendu raciste, s’insurge Jay Z. « Tout ce qui ne ressemble pas à un “merci” est raciste », a-t-il expliqué. Une partie du hip hop le suit et décide de boycotter Roederer. Cet amateur de vins (il possède une cave de plusieurs milliers de bouteilles) s’entiche alors du champagne Armand de Brignac, une marque en sommeil que Cattier vient de relancer. Et le place dans un de ses clips, « Show me what you got », où il dédaigne ostensiblement un champagne ​Roederer au profit d’une bouteille Armand de Brignac frappée de l'as de pique (extrait ci-dessous).

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Empire State of Mind, 
How Jay-Z Went from Street Corner to Corner Office

Zack O'Malley Greenburg

On peut être le pape du hip-hop, un poids lourd de l’industrie musicale mondiale, l’un des rappeurs les plus respectés… et devoir une partie de son succès à une petite orpheline de onze ans. En 1998, Shawn Carter, alias Jay Z, commence à émerger sur la scène américaine quand il reprend l’une des chansons de la comédie musicale « Annie » - l’histoire d’une petite fille à la recherche de ses parents, à l’affiche à Broadway depuis près de quarante ans désormais. Réécrit pour coller à sa vie dans Bedford-Stuyvesant, quartier miteux de Brooklyn où il a grandi entouré de sa fratrie et d’une mère célibataire après le départ de son père à 11 ans, « Hard Knock Life » devient un succès planétaire et lance définitivement sa carrière.


Seize ans et plusieurs centaines de millions d’albums vendus plus tard, le rappeur new-yorkais de 45 ans, reconnaissant, revient aujourd’hui vers « Annie », cette fois comme coproducteur de la version cinéma, en salles le 25 février en France. Une activité de plus dans l’empire que s’est taillé cet ancien petit dealer de crack devenu entrepreneur multicartes : musique, vêtements, boissons, parfums, cigares, bars, sport... Un empire fondé sur un principe, résumé dans l’un de ses textes : « I’m not a businessman, I’m a business, man. »


Ce credo, simple et efficace, lui a permis d’amasser une fortune estimée à 520 millions de dollars par « Forbes ». « C’est un véritable homme d’affaires qui trouve un moyen de faire de l’argent avec tout ce qu’il touche, explique Zack O’Malley Greenburg, journaliste à « Forbes » et auteur d’une biographie non officielle. Sa stratégie a généralement été de lancer ses propres produits et sociétés, puis de les inclure dans ses œuvres pour s’enrichir lui-même plutôt que d’autres. » Ses clips, interviews et autres apparitions sont de parfaits exemples de placement de produits. Comme pour la marque de vêtements Rocawear, fondée avec son acolyte Damon Dash – et dont il a revendu ses parts en 2012 pour 204 millions de dollars – ou pour ses multiples partenariats avec de grandes marques, tels que General Motors, Samsung, Budweiser, Hewlett-Packard, Reebok... Car Jay Z fait vendre, comme l’a constaté une petite marque de champagne français dont il a fait la boisson la plus branchée du moment.

      Dans les conseils d’administration,
je suis souvent
le seul Noir et le seul jeune au milieu
de ces hommes d’affaires blancs.

«

»

Jay Z

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Eric Garner et Michael Brown sont tous les deux décédés lors d'interventions policières, suscitant des manifestations contre le traitement des citoyens Noirs par la police.

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La bouteille, au design atypique, se retrouve dans les bars et clubs que possède Jay Z, puis dans les loges VIP de la salle des Brooklyn Nets, une équipe de basket NBA dont il a été actionnaire minoritaire, et se transforme en objet fétiche des stars du show-business et du sport. « C’est devenu aussitôt un phénomène planétaire inimaginable. Les demandes ont afflué de partout, ce n’est plus nous qui démarchions les distributeurs mais l’inverse ! », se souvient Philippe Bienvenu, directeur commercial de Cattier. 100.000 bouteilles ont été écoulées l’an dernier, à 250 dollars pièce minimum aux Etats-Unis mais avec un prix grimpant jusqu’à 500.000 dollars pour une collection spéciale en 2013 : une réussite inattendue pour la maison de Chigny-les-Roses, que Jay Z est venu visiter en 2010 après un concert à Paris. Un passage en toute simplicité : jet privé depuis la capitale et convoi de six limousines pour une visite-dégustation de deux heures suivie d’un barbecue.


«  Dès le départ, il nous a dit qu’il agissait par coup de cœur, qu’il ne voulait ni contrepartie ni rôle d’ambassadeur de la marque », assure Philippe Bienvenu. Le rappeur aurait en fait depuis plusieurs années des intérêts dans Sovereign Brands, un distributeur américain d’alcool… qui assure notamment, via sa filiale Armand de Brignac LLC, la promotion et la distribution du champagne éponyme de Cattier à travers le monde. Une filiale rachetée en novembre dernier par... Jay Z.


Un beau coup pour l’autoproclamé « Warren Buffett Noir », clin d’œil au richissime investisseur américain qu’il côtoie parfois pour des échanges entre businessmen avisés, de même que Bill Gates. Ceux qui ont eu affaire à lui (avocats, dirigeants…) le décrivent comme un gros travailleur, avide de connaissances. Philippe Bienvenu a ainsi été 
« impressionné par son implication et son talent d’homme d’affaires ». Opportuniste et roublard, il a aussi appris de ses erreurs, comme lors de cette altercation avec un producteur accusé de trahison, achevée à coups de couteau. « C’était immature », reconnaîtra ce beau bébé de 1m95 à propos de cet épisode qui lui a valu trois ans de prison avec sursis. 

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